Rémy Barché © Joseph Banderet
Rémy Barché © Joseph Banderet

Rémy Barché : « Provoquer artistiquement des rassemblements là où le lien social s’érode »

Du 6 au 14 octobre à Théâtre Ouvert, Alann de Marcos Caramés-Blanco et Valentin de Pauline Peyrade forment un diptyque mis en scène par Rémy Braché. Deux portraits d’acteurs, entre fiction et réalité, qui célèbrent la puissance du lien, l’émotion et la présence.
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Comment l’art vivant est-il entré dans votre vie et qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir metteur en scène ?

Rémy Barché : J’ai grandi dans une petite commune du Loir-et-Cher où il n’y avait pas de théâtre. C’est dans la salle des fêtes que j’ai commencé à être spectateur. Mes parents étaient très impliqués dans la vie associative. Mon père organisait des bals costumés avec le comité de jumelage franco-allemand, et ma mère était le pilier d’une troupe amateure qui montait chaque année un spectacle.

En partageant ces moments joyeux avec mes frères et moi, mes parents nous ont transmis la conviction qu’il fallait provoquer artistiquement des rassemblements, surtout dans des contextes où le lien social menace de s’effriter.

Qu’est-ce qui vous guide dans vos choix de textes à mettre en scène ?
Alann de Marcos Caramès-Blanco, mise en scène par par Rémy Barché © Joseph Banderet
Alann de Marcos Caramès-Blanco, mise en scène par par Rémy Barché © Joseph Banderet

Rémy Barché : Je cherche d’abord à être saisi par la puissance d’une langue, par la beauté avec laquelle elle fait apparaître les interprètes sur le plateau. Mon amour des textes est indissociable du jeu et du travail avec les acteur·rices.

En ce moment, je suis particulièrement touché par des écritures violentes, qui ne fuient pas l’émotion. Cette intensité me semble juste. Récemment, j’ai été bouleversé par Tueurs de chiens d’Inès Tahar (Tapuscrit). Un texte d’une sincérité implacable, qui expose le quotidien d’un groupe d’adolescent·es errant·es dans le Sud-Ouest, traquant la vie malgré la défonce et la tise.

Quelles rencontres ont marqué votre parcours ?

Rémy Barché : Ludovic Lagarde, qui m’a associé pendant de longues années à la Comédie de Reims, m’a offert une confiance rare. À 25 ans, il m’a confié de grandes responsabilités, tant dans la création que dans le lien avec les publics.

L’auteur Baptiste Amann, qui a écrit La Truite et Rapports sur toi pour moi, m’a aidé à être plus sincère, à faire confiance à ma colère singulière, même si je ne mets pas en scène mes propres textes.

Aujourd’hui, l’échange avec Pauline Peyrade, avec qui je partage ma vie, est essentiel. Son engagement féministe, son exigence littéraire, sa curiosité pour les jeunes artistes m’aident à me construire.

Je dois aussi beaucoup à Alann Canon-Baillet, mon collaborateur au sein de Tendre est la nuit. Avec sa compagnie d’art de rue, il organise des déambulations travesties dans les villages ardennais. Son sens du lien avec les spectateur·rices, fait d’amitié et de générosité, est déterminant dans l’esprit de nos projets.

Quelles esthétiques nourrissent votre travail ?
Valentin de Pauline Peyrade, mise en scène par Rémy Barché © Joseph Banderet
Valentin de Pauline Peyrade, mise en scène par Rémy Barché © Joseph Banderet

Rémy Barché : Je suis touché par les propositions qui travaillent avec humilité et économie de moyens. J’admire les artistes qui pratiquent la discrétion, la patience, la rareté. Comme le dit la philosophe Barbara Stiegler, il faut « miniaturiser les luttes ».

Les films de Kelly Reichardt sont pour moi des phares : leur simplicité, leur humanisme, leur précision attaquent le capitalisme dans son fonctionnement le plus sournois. Je crois aux artistes qui accordent leurs modes de production à leurs valeurs. Au théâtre, je reste fasciné par le Hamlet d’Arpad Schilling (compagnie Kretakör), sans décor ni technique, joué pour des lycéen·nes : un modèle de délicatesse et de proximité.

Comment est né ce projet ?

Rémy Barché : Il est né d’un essoufflement, d’une perte de conviction vis-à-vis du cadre institutionnel. Le système de production et de consommation culturelle me semblait reproduire une violence capitaliste souvent dénoncée dans les œuvres.

J’ai voulu repenser ma compagnie selon un modèle décroissant : des formes simples, légères, centrées sur la relation entre acteur·rices et spectateur·rices. Nous avons choisi de travailler durablement en Champagne-Ardenne, dans des lieux non dédiés — salles des fêtes, médiathèques — et d’y construire une relation fidèle avec un public.

Les Portraits en sont la première étape : présenter les acteur·rices, donner accès à leur paysage intime et artistique.

Qu’est-ce qui vous a touché dans les textes de Pauline Peyrade et Marcos Caramés-Blanco ?
Alann de Marcos Caramès-Blanco, mise en scène par par Rémy Barché © Joseph Banderet
Alann de Marcos Caramès-Blanco, mise en scène par par Rémy Barché © Joseph Banderet

Rémy Barché : J’ai proposé à Pauline et à Marcos d’écrire un texte-portrait à partir de ce que Valentin et Alann avaient envie de partager.

Valentin a choisi de raconter la perte de son petit frère de cinq ans. Pauline lui a écrit un journal intime, un cahier de souvenirs avant et après la disparition, que le personnage vient déposer sur la tombe du frère disparu, espérant que la pluie fera couler ces mots jusqu’à lui.

Marcos s’est inspiré du travail d’Alann avec sa troupe d’art de rue : dans Alann, le comédien arrive habillé en marquise queer et se dévoile peu à peu, évoquant la charge intime et politique de sa démarche. En marchant sur ses échasses, il prend sa revanche sur l’homophobie subie adolescent.

Pauline et Marcos ont fait preuve d’une immense générosité et d’une grande délicatesse. Leurs textes, d’une profonde humanité, sont traversés par des enjeux qui leur sont chers.

Comment avez-vous porté ces textes au plateau ?

Rémy Barché : Dans les versions jouées en milieu rural, le public est assis en cercle, tout près des comédiens. La mise en scène s’est concentrée sur la direction d’acteur·rices et la qualité de l’adresse au public, travaillée dès les résidences.

À Théâtre Ouvert, nous présentons une version frontale, la première en théâtre. J’ai souhaité que Pauline Peyrade et Marcos Caramés-Blanco soient présents sur scène aux côtés d’Alann et Valentin, pour rendre visible le lien unique entre auteur·rices et interprètes.

Ces textes racontent des histoires d’acteurs : comment transformer le réel en fiction ?
Alann et Valentin, de Pauline Peyrade et Marcos Caramès-Blanco, mise en scène par Rémy Barché © Joseph Banderet
Alann et Valentin, de Pauline Peyrade et Marcos Caramès-Blanco, mise en scène par Rémy Barché © Joseph Banderet

Rémy Barché : L’enjeu n’était pas de transformer le réel, mais de le rendre partageable. C’est là que la langue des auteur·rices joue un rôle essentiel : elle permet à Alann et Valentin de se regarder autrement, de s’amuser de leur propre vie.

Pauline et Marcos ont inventé des dispositifs de jeu — le journal intime déposé sur la tombe, le numéro d’effeuillage — qui déplacent le regard et ouvrent un espace théâtral.

Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui en tant que metteur en scène ?

Rémy Barché : Ce qui me donne de l’énergie, c’est le sentiment de connexion qui peut naître entre les membres d’une assemblée. Le théâtre peut être excluant, mais aussi profondément rassembleur.

Je pense souvent à une scène du film En présence d’un clown de Bergman : un vieil homme projette un film sur Schubert dans un chalet isolé ; quand l’électricité s’éteint, il joue la fin à la bougie. Quelque chose d’humble et de miraculeux advient alors — une petite communauté se forme autour du besoin humain de se raconter des histoires au coin du feu.

À la fin, un spectateur lui dit : « Vous savez, le théâtre, c’était mieux que le cinéma. » C’est pour vivre ce genre de moments que j’ai envie de faire du théâtre.


Alann et Valentin
Théâtre Ouvert
du 6 au 14 octobre 2025
Durée 3h avec entracte

Mise en scène de Rémy Barché
Texte Valentin – Pauline Peyrade (éd. les Solitaires Intempestifs)
Texte ) Alann Marcos Caramés-Blanco
Dramaturgie de Juliette De Beauchamp
Avec Alann Baillet, Marcos Caramés-Blanco, Valentin Paté, Pauline Peyrade

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