Qu’est-ce qui vous a donné envie de revisiter aujourd’hui Goethe et son mythe ?
Brett Bailey : J’ai reçu une commande du Festival de Weimar pour adapter la deuxième partie de Faust. 2025 est une année particulière qui marque le 250ᵉ anniversaire de l’arrivée de Goethe dans cette ville, où il a vécu jusqu’à sa mort. Ce qui m’a séduit, c’est la dimension mythologique du texte, sa complexité et la possibilité de « jouer », de m’amuser à manipuler un texte aussi emblématique.
En quoi la deuxième partie de ce texte emblématique résonne-t-elle avec notre époque ?

Brett Bailey : Cette œuvre parle de l’élan insatiable de l’humanité moderne à satisfaire son ego, à repousser sans cesse les limites, à tout vouloir expérimenter, quel qu’en soit le prix. Dans notre ère technologique vorace, les dangers d’une telle orientation résonnent profondément.
Comment avez-vous travaillé la mise en scène pour que ce mythe puisse parler à un public d’aujourd’hui ?
Brett Bailey : Je ne cherche pas à « rendre un texte contemporain ». Je travaille souvent à partir de textes et de récits du répertoire classique. Je les dépouille jusqu’à leur squelette, puis je les plonge dans la soupe de mes lectures et recherches : actualité, histoire, mythologie, peinture, sculpture, cinéma de différentes époques et régions du monde… Je vois quelles portes s’ouvrent à moi, quels thèmes, matériaux et images viennent se greffer sur « le squelette d’origine » et j’élabore peu à peu de nouvelles œuvres à partir de là.
Vous êtes à la fois metteur en scène et artiste visuel. Comment ces deux dimensions s’articulent-elles dans votre travail ?
Brett Bailey : Pour moi, le visuel fait pleinement partie du théâtral ; ce n’est pas un aspect séparé. Quand je compose une séquence ou une scène, j’utilise le texte, l’action, la musique, la couleur, la composition… tout cela pour créer du sens et une atmosphère. Je ne sais pas travailler autrement.
Votre parcours vous relie à la fois à l’Afrique du Sud et à l’Europe. Comment ces influences nourrissent-elles votre univers ?

Brett Bailey : Tout cela, et bien plus encore, entre dans le mélange : sur les plans esthétique, thématique, politique… Je puise mon inspiration dans de nombreux coins du monde. Dans FAUSTX, les costumes s’inspirent des vêtements portés par les ouvriers agricoles pauvres d’Afrique australe. La musique va de Mozart, Arvo Pärt et Purcell à des compositeurs électroniques contemporains comme Biosphere et GAS. Je m’inspire de formes théâtrales venues d’Europe, du Japon et d’Afrique, de la vidéo générée par l’IA, de l’animation japonaise image par image, du cinéma expérimental d’Europe de l’Est du XXᵉ siècle et des rituels animistes africains.
Thématiquement, j’aborde la manipulation des économies africaines par l’Europe, la guerre à Gaza, l’occupation israélienne en Cisjordanie, les rêves mégalomanes d’Elon Musk sur la domination technologique et la colonisation spatiale, la destruction de l’écosystème par un capitalisme déchaîné et la montée de l’extrême droite en Europe…
Le théâtre sud-africain reste peu visible en France. Quelles sont ses caractéristiques ?
Brett Bailey : Le théâtre sud-africain est très vaste, à l’image de la diversité culturelle et des écarts socio-économiques de notre population. Il faudrait sans doute un regard extérieur pour en dégager les traits distinctifs. Certains créateurs sont hantés par notre passé historique, d’autres sont tournés vers l’avenir. Certains travaillent sur des questions politiques et idéologiques, d’autres dans le registre du drame conventionnel. On y trouve du théâtre commercial, mais aussi des formes expérimentales et souterraines. Certaines œuvres s’inspirent des modèles européens et américains, d’autres plongent leurs racines en Afrique ou en Asie du Sud-Est…
Vous dirigez depuis longtemps Third World Bunfight. Quelle est la philosophie de ce collectif ?

Brett Bailey : Third World Bunfight n’est pas un collectif. J’en suis le directeur artistique, et Barbara Mathers, la productrice et manageuse. Nous travaillons ensemble depuis vingt-sept ans. Mon travail est très diversifié. J’emploie des interprètes et des équipes différentes selon les projets : opéra, installation performative, théâtre musical ou rituel.
Mes créations ne sont généralement pas des soirées d’évasion. Elles sont souvent à plusieurs niveaux de lecture, parfois difficiles à saisir. Elles interrogent toujours les rapports de pouvoir, avec une empathie pour les laissés-pour-compte, et touchent à des questions brûlantes de notre époque. Elles sont portées par la musique, immersives, traversées par des dimensions « non rationnelles » qui s’entrecroisent avec le réel. Et bien sûr, elles sont très visuelles, traditionnellement marquées par une esthétique artisanale, brute. Je m’intéresse moins à l’intrigue qu’à la sensation et à l’expérience d’un spectacle.
FAUSTX d’après Faust II de Johann Wolfgang von Goethe
Spectacle crée le 20 août 2025 au Festival Kunsten de Weimar
Théâtre des Amandiers – Nanterre
du 31 octobre au 2 novembre 2025
durée 1h30
Adaptation, mise en scène, scénographie et conception de Brett Bailey
Avec Darion Adams, Liezl de Kock, Iman Isaacs, Sophie Joans, Siphenathi Mayekiso & Toni Morkel
Collaboration à la scénographie – Tanya P. Johnson
Montage vidéo de Kirsti Cumming
Montage son de Simon Kohler
Voix allemande – Lionel Tomm
Coordonnation des costumes – Enrique de Villiers
Création lumière et régie technique – Nicolaas de Jongh