La Loge, c’est une histoire déjà longue. Quelle en est aujourd’hui l’essence ?
Alice Etienne : La Loge, c’est d’abord une aventure née en 2006 avec La Petite Loge, dans le 9ᵉ arrondissement, avant de devenir ce lieu bouillonnant rue de Charonne. Alice Vivier et Lucas Bonnifait ont été de vrais précurseurs. Ils ont créé un espace où la prise de risque était partagée entre artistes et programmateurs, à un moment où aucun lieu ne s’adressait spécifiquement à l’émergence de cette manière.
Axel Yvon : Ce qui a fait la singularité de La Loge, c’est sa liberté. C’était une scène où des artistes aujourd’hui incontournables — Rebecca Chaillon, Julie Duclos, Lorraine de Sagazan, entre autres — ont présenté leurs premières formes. Deux spectacles par soir, des équipes qui se croisaient sans cesse… De cette effervescence est née une émulation rare, que nous nous attachons à préserver.
Vous avez repris la direction en janvier dernier. Quelle est votre vision pour cette « nouvelle Loge » ?

Alice Etienne : Aujourd’hui, La Loge n’est plus un lieu fixe, mais une structure d’accompagnement artistique. Nous travaillons hors les murs, en réseau, avec des partenaires en Île-de-France et sur tout le national.
Axel Yvon : Nous nous définissons comme un label indépendant d’accompagnement. Nous suivons les artistes sur l’ensemble de leur parcours, de la structuration de leur compagnie à la diffusion. Tous nos dispositifs — Puissance 4, Fragments, 90 m² Créatifs, ou encore les Journées découvertes — s’articulent dans une logique de continuité pour que les artistes puissent passer naturellement de l’un à l’autre.
Vous évoquez souvent la mutualisation. Comment cela se traduit-il ?
Alice Etienne : Avec Puissance 4, par exemple. Ce réseau réunit huit partenaires — le TU (Nantes), le Théâtre Olympia – CDN de Tours, le Théâtre Sorano (Toulouse), le Théâtre 13 (Paris), le Théâtre Joliette (Marseille), la Maison des Métallos (Paris), les Célestins (Lyon) et le Quai – CDN d’Angers. Ensemble, nous accompagnons six artistes pendant trois ans.
Chaque artiste bénéficie d’un apport en coproduction sur trois ans de 10 000 €, de temps de résidence et de diffusion. C’est un dispositif très structurant, mais aussi une aventure humaine.
Axel Yvon : Ce réseau – à mettre en parallèle de celui de Fragments – incarne l’esprit de La Loge : solidarité et circulation. Nous aidons les artistes à sortir de leur région, à rencontrer d’autres scènes, d’autres publics. Et nous apprenons énormément en travaillant avec des partenaires aux profils variés.
Et du point de vue du financement, comment fonctionne aujourd’hui La Loge ?
Alice Etienne : La Loge est conventionnée par la DRAC Île-de-France, subventionnée par la Ville de Paris pour son fonctionnement, le Festival Fragments et ses actions culturelles, et par la Région Île-de-France pour Fragments.
Le reste de nos ressources provient d’activités propres : accompagnements ponctuels en production ou diffusion, notamment à Avignon, ou collaborations événementielles avec la Ville et la Région.
Axel Yvon : Chaque année est différente. Nous pouvons être partenaires du festival Jardins ouverts, porté par la Région — comme ce fut le cas cette année —, coordonner des week-ends de réouverture avec la Ville de Paris, ou encore programmer des formes pluridisciplinaires lors des scènes festives des Jeux Olympiques et Paralympiques, l’an passé. Cette souplesse fait partie intégrante de notre modèle économique.
Vous revendiquez une vraie proximité avec les artistes…
Alice Etienne : Oui, c’est essentiel. Nous voulons rester accessibles. Les compagnies peuvent nous contacter librement, même pour un simple conseil. Nous avons mis en place des Journées découvertes mensuelles, où nous recevons gratuitement des équipes pour des rendez-vous personnalisés d’une heure. Près d’une centaine de compagnies sont déjà venues.
Axel Yvon : Nous tenons à rester des interlocuteurs disponibles, mais exigeants. Nous accompagnons des équipes qui ont déjà un minimum de structuration, afin que nos conseils soient réellement utiles. Et nous continuons à créer des moments de rencontres plus festifs, comme la Journée CRUSH à Avignon — co-organisée avec La Manufacture, le TU-Nantes et le Printemps des Comédiens — un après-midi de pitchs de projets suivi d’une soirée devenue incontournable. C’est professionnel, mais joyeux.
Quels autres dispositifs d’accompagnement proposez-vous ?
Alice Etienne : Le programme 90 m² Créatifs, né en 2015, est un dispositif de résidences en partenariat avec des lieux comme le CENTQUATRE-Paris, le Nouveau Théâtre de la Tempête, l’île à Scène, le Nouveau Théâtre de L’Atalante et Lilas en Scène. Il offre aux compagnies des temps de travail au plateau suivis de sorties de résidence professionnelles.
Nous coordonnons aussi des actions culturelles régulières : ateliers musicaux à l’hôpital Necker ou à la Halte des femmes de l’Hôtel de Ville, menés par des artistes soutenues par La Loge.
Axel Yvon : Historiquement, La Loge a aussi exercé une activité de bureau de production. Nous avons accompagné ponctuellement des artistes comme Céline Champinot ou Solal Bouloudnine. Ce n’est plus notre cœur d’activité, mais nous le reprenons parfois sur des projets ciblés, notamment à Avignon.
Le Festival Fragments prépare sa 13ᵉ édition. Quelle est sa vocation aujourd’hui ?
Alice Etienne : Fragments est né pour offrir aux jeunes compagnies un espace où présenter une maquette de trente minutes — à une époque où ce format n’existait presque pas. Aujourd’hui, c’est devenu un temps fort de la jeune création, soutenu par un réseau national.
Axel Yvon : Treize compagnies participent cette année, proposées par les partenaires*. Le festival a également le soutien de l’Agence Culturelle Grand-Est, et d’Occitanie en scène, en plus de la Ville de Paris et de la Région Île-de-France. Le festival se structure en deux temps : une semaine de programmation en octobre en Île-de-France, puis une circulation des projets tout au long de la saison en régions.
Comment se fait la sélection ?
Alice Etienne : Il n’y a pas d’appel à candidatures. Chaque partenaire propose un ou deux projets, et la sélection se fait collectivement, en veillant à l’équilibre des esthétiques et des parcours. Les compagnies doivent avoir au moins deux semaines de travail au plateau avant le festival.
Axel Yvon : Nous les accompagnons aussi en amont, via des journées d’échanges et de formation. L’idée, c’est de les préparer à la rencontre avec les professionnels, dans un climat de bienveillance. Fragments n’est pas un concours, c’est un tremplin collectif.
Ce festival est devenu une référence. Est-ce toujours de l’émergence ?
Axel Yvon : C’est une question qu’on se pose souvent. Fragments accueille aujourd’hui des compagnies déjà un peu structurées, mais qui ont besoin de franchir un cap. Ce n’est plus de l’émergence pure, c’est de la visibilité accompagnée.
Alice Etienne : Ce qui compte, c’est que Fragments reste un espace de confiance, où les artistes se sentent soutenus, pas jugés. Nous faisons très attention à ce que les compagnies soient exposées au bon moment, au regard de l’expertise des partenaires et du réseau.
Qu’est-ce qui, pour vous, définit l’esprit de La Loge ?
Axel Yvon : La Loge, c’est avant tout un réseau d’amitiés, de fidélités et de convictions. Nous travaillons avec des institutions comme avec des structures indépendantes. Ce qui nous unit, c’est la confiance et l’envie de faire ensemble.
Alice Étienne : Et la conviction que le théâtre contemporain doit rester un espace de liberté. Nous aimons les écritures d’aujourd’hui, les formes qui interrogent le monde, les artistes qui inventent. C’est là que nous concentrons notre énergie.
Festival Fragments #13
du 13 au 17 octobre 2025
*Le Théâtre 13 (Paris), L’étoile du Nord (Paris), le Théâtre Paris-Villette (Paris), Les Plateaux-Sauvages (Paris), le Jeune Théâtre National (Paris), le Théâtre Silvia Monfort (Paris), la Maison des Métallos (Paris), le Théâtre Sorano (Toulouse), le Festival Mythos (Rennes), Le Volcan (Le Havre), Le Salmanazar (Épernay), la Scène 55 (Mougins), La Manekine (Pont-Sainte Maxence)