Seule sur le plateau, face au public, Inès Quaireau soutient le regard. Elle a vingt et un ans, une énergie brute, une lumière dans la voix. Elle incarne Annette d’Aubervilliers, seize ans dans les années 1950, « fille facile » aux yeux du père, coupable d’avoir aimé un jeune Maghrébin.
Pour la remettre dans le droit chemin, il l’envoie au Bon Pasteur d’Angers, maison de redressement dirigée par des religieuses. Dès l’entrée, les vêtements sont confisqués et le corps fouillé jusque dans son intimité. L’humiliation est totale. Le silence s’impose. La honte qu’on lui inflige s’infiltre en elle, sans parvenir à éteindre la révolte.
Des voix trop longtemps tues

Inspiré d’ateliers menés dans un centre éducatif fermé, le texte acéré de Sonia Chiambretto entremêle les voix d’hier et d’aujourd’hui. Annette, Simone, Gisèle, Sara partagent le même désir de liberté et la même peur d’être brisées. Qu’elles aient connu les murs d’un couvent ou ceux d’un centre pour mineures, la logique patriarcale et moraliste du contrôle des corps féminins reste le cœur vibrant du propos.
L’écriture est au scalpel, tranchante, acérée. Inès Quaireau, dirigée au cordeau par Marcial Di Fonzo Bo, s’en empare avec une intensité sans effets. La rage, la honte et la tendresse circulent à vif. Le texte passe à travers elle, brut, sans fard.
Un théâtre de la mémoire
Avec finesse et ingéniosité, le directeur du Quai à Angers accompagne cette parole d’une mise en scène épurée. Au fond, un miroir renvoie le reflet du public et abolit toute distance. De spectateur passif, on devient témoin. La scénographie est minimaliste. Quelques objets – un sac de frappe, une caisse d’affaires confisquée, un magnétophone – suffisent pour donner aux mots force et humanité. La comédienne déplie les absences et esquissent par les vêtements civils des filles effacées leur silhouette. Rien n’est appuyé, mais tout fait sens. Le théâtre devient alors un lieu de mémoire à vif.
Corps tendu, physicalité exacerbée, Inès Quaireau habite la scène. Une vitalité rageuse l’anime sans jamais tomber dans l’excès ou l’effet de style. Elle glisse avec aisance d’une fille à l’autre, d’une époque à l’autre.
L’insoumission en héritage

Ce qui bouleverse, c’est la tension entre humiliation et résistance. Ces filles, punies pour avoir voulu vivre, rire, aimer, fumer, danser, parlent grâce à elle. La comédienne devient plurielle. Elle est leur sœur d’hier et d’aujourd’hui, et donne corps à celles, souvent issues de milieux modestes, que la société a voulu contraindre.
Sans lyrisme ni esthétisation du malheur, Au Bon Pasteur : peines mineures tire sa force de la justesse du jeu, du tranchant de l’écriture et de la clarté du dispositif. Le spectateur ressort secoué, fasciné par cette jeune actrice qui transforme le témoignage en présence. Inès Quaireau n’imite pas, mais est habitée par la nécessité de dire. Une révélation.
Au Bon Pasteur : peines mineures (2) de Sonia Chiambretto
Création
Les Plateaux Sauvages
Du 7 au 11 octobre 2025
Durée 1h
Tournée
24 et 25 novembre 2025 Le Qu4tre – Université d’Angers (Le Quai CDN Angers Hors les murs)
29 et 30 janvier 2026 au Quai, CDN, Angers
Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo assisté de Margot Madec
Avec Inès Quaireau