Dimitri Doré © Victoria Vinas

Dimitri Doré, l’art comme métamorphose

Acteur incandescent, révélé au théâtre comme au cinéma, l’artiste d’origine lettone livre avec DAINAS (pron. Daïnas) une traversée intime et troublante. Créé à l’Arsenic de Lausanne et présenté en novembre au T2G, ce solo autofictionnel imaginé avec Jonathan Capdevielle explore les frontières mouvantes entre mémoire, identité et métamorphose.
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Crâne rasé, regard torve, Dimitri Doré crève littéralement l’écran à Cannes, à l’été 2021. Dans Bruno Reidal, confession d’un meurtrier de Vincent Le Port, il incarne un séminariste habité par des pulsions sanguinaires. L’image sidère. Le contraste est saisissant entre la violence sourde du rôle et son visage d’ange. Ce personnage d’une intensité rare lui vaut une nomination au César du meilleur espoir masculin. Mais au-delà de la reconnaissance, c’est une présence singulière qui s’impose, quelque chose d’à la fois candide, brûlant, fragile et hypnotique.

Un enfant du rire et du désordre
Bruno Reidal, confession d'un meurtrier de Vincent Le Port © Les Bookmakers / Capricci Films
Bruno Reidal, confession d’un meurtrier de Vincent Le Port © Les Bookmakers / Capricci Films

Dimitri Doré a vingt-huit ans et tout en lui semble encore en mouvement. Il avance dans la vie comme sur scène, avec l’énergie du funambule, toujours prêt à se laisser traverser. « Je suis un enfant de la télévision », confie-t-il avec ce mélange d’humilité et de ferveur qui le caractérise. 

Tout a commencé un soir de Noël, devant un programme d’Arte consacré à Laurel et Hardy. Il avait quatre ans. « Ce couple détruisait complètement l’ordre établi. Stan Laurel, surtout, agissait comme un gosse. J’ai eu un choc. » Ce rire-là, cette liberté débridée, façonneront son imaginaire. Internet faisait alors ses premiers pas, et l’enfant curieux découvre Buster Keaton, Doublepatte et Patachon (duo comique danois), les clowns russes et les comiques du muet. « J’aimais aussi les grands du rire français, les comiques anglais, et puis le théâtre de boulevard. Robert Hirsch, par exemple, m’a toujours fasciné. »

Du cirque au théâtre 

Ce goût du jeu et de la transgression joyeuse le mène naturellement vers le cirque. Son père l’emmène voir Amar, Pinder, Bouglione. Il observe ces artistes nomades, leurs gestes précis, la fatigue des corps. À l’école de cirque Supercrampe, il apprend le trapèze et le jonglage. « J’étais fasciné par ces gens du voyage, par la beauté du geste, sans me douter que derrière l’apparente facilité, cela demandait beaucoup de travail et d’entraînement. »

Longtemps pourtant, il se destine à un tout autre métier. Il rêve d’être instituteur, « comme Gérard Klein sur sa moto. » C’est une professeure d’italien, lucide et bienveillante, qui le pousse vers le théâtre. Mauvais élève dans cette langue, il découvre par hasard sa vocation. « Pour le bac, elle m’a conseillé d’abandonner l’italien et de prendre plutôt l’option théâtre. » Il s’y engouffre. « Je n’avais pas une grande culture théâtrale. Je faisais du Muriel Robin dans Cendrillon où je jouais la belle-mère. Apparemment, cela a plu. On m’a assez vite conseillé de monter à Paris. »

La rencontre décisive
À nous deux maintentant d'apres le roman Un crime de Georges Bernanos, mise en scene de Jonathan Capdevielle © Pierre Grosbois
À nous deux maintentant d’apres le roman Un crime de Georges Bernanos, mise en scene de Jonathan Capdevielle © Pierre Grosbois

En 2016, il entre à l’école de théâtre L’Éponyme. Un an plus tard, il croise la route de Jonathan Capdevielle. Ce sera le début d’une longue fidélité. « C’est grâce à une amie, Eva Lallier, que j’ai passé le casting. Jonathan cherchait un enfant de chœur pour À nous deux maintenant. J’ai envoyé une vidéo où je racontais un souvenir du cirque Pinder Jean Richard. » Trois essais plus tard, il est choisi. Ce duo ne se quittera plus. « Jonathan est un vrai parrain, un compagnon de route. Cela fait neuf ans qu’on travaille ensemble. »

Avec le metteur en scène originaire de Tarbes, Dimitri Doré découvre un autre rapport à la scène, celui d’un espace d’intimité, de trouble, de jeu avec les frontières du réel. « Nous, les comédiens, on ne vit que d’influences, confie-t-il. On n’est pas des créateurs, on est des voleurs. Puis un jour, on trouve sa route. » Leur travail commun l’emmène du théâtre à la radio, du cabaret à la performance, toujours dans cette tension entre sincérité et métamorphose.

DAINAS, ou la mémoire retrouvée

Après À nous deux maintenantRémi et Caligula, leur nouvelle création commune, DAINAS (pron. daïnas), prolonge cette exploration. Tout part d’une question simple posée par Jonathan Capdevielle à Dimitri Doré : « Quelle est la littérature lettone ? » Adopté à dix-huit mois, le comédien sèche, ne connaissant presque rien de son pays d’origine. « Je suis arrivé à Reims en 1998. Je savais très peu de choses de la Lettonie. En cherchant, je suis tombé sur les dainas, ces poèmes millénaires transmis oralement par des femmes. Il y en a plus d’un million, dont très peu ont été traduits en français. »

Avec une sorte de gourmandise, Dimitri Doré plonge dans cette mémoire chantée tout en ouvrant ses propres carnets d’adolescence. « J’ai écrit une centaine de pages de 1997 à 2024. Il y a des souvenirs, des photos. J’ai aussi puisé dans mes VHS d’enfance. » 

De tout cela, il tire un premier texte qu’il remet à Jonathan Capdevielle. Celui-ci s’en empare, surligne, resserre, tisse. De cette matière intime naît un seul en scène traversé par les voix des vivants et des absents. « Ce n’est pas un spectacle sur l’adoption, mais sur la transmission », souligne le comédien.

Une part d’autofiction 
Dainas (Pron. daïnas) de Jonathan Capdevielle et Dimitri Doré © Grégory Batardon

Sur scène, il prête sa voix à ses parents, évoque la bureaucratie des années 1990. « Dans le questionnaire, il y avait cette phrase sidérante : ‘Sommes-nous prêts à adopter un enfant d’une autre race ?’ » Au plateau, il devient donc Oleg, le prénom biologique de son père, figure mythologique et double fantasmé. « C’est une métamorphose plus qu’une reconstitution. Un être traversé par la mémoire, les chants, les fantômes. »

L’esthétique du spectacle se revendique de l’arte povera : des linges suspendus, un jardin bricolé, une fragilité assumée. Dimitri Doré y mêle ses influences à celle du metteur en scène, de Klaus Nomi à Klaus Kinski, de Robert Hirsch à Tina Turner« Jonathan est plus Madonna, moi plus diva du rock », s’amuse-t-il. Mais pour les deux complices, l’important est que le jeu soit toujours un lieu de tension et de vérité.

Le fil des vivants

DAINAS (pron. daïnas) est né dans la lenteur et la confiance. « Avant d’écrire, j’ai eu besoin de régler certaines choses intimes pour ne pas être dans le ressentiment. » Trois ans de maturation, dans la douceur et la curiosité. Le spectacle sera bientôt présenté à Riga. « J’ai hâte de voir comment les Lettonnes et Lettons le recevront. Moi, je veux comprendre davantage, apprendre la langue, retourner là-bas. »

Il évoque cette aventure comme une traversée apaisée. « Je ne suis pas là pour juger, mais pour comprendre. » Cette réconciliation intime irrigue tout le spectacle. Pour Dimitri Doré, DAINAS (pron. daïnas) n’est pas seulement un retour aux origines, c’est une façon de donner corps à la mémoire, de redonner de la valeur aux vivants. « L’histoire de la Lettonie a souvent été écrite par celles et ceux qui l’ont envahi. Je veux l’écouter autrement — j’aimerais proposer une autre manière de la comprendre — à travers ses dainas, et les paysages justement, là où la nature se souvient autrement que les livres. »

Apprendre à soi et aux autres 
Dainas (Pron. daïnas) de Jonathan Capdevielle et Dimitri Doré © Grégory Batardon

Entre deux répétitions, il pratique le cerceau aérien, le yoga et le qi gong. « Je ne suis pas épais, il faut bien que je me muscle », ironise-t-il. Ce mélange d’autodérision et de rigueur fait partie de son charme. Le comédien avance avec la foi tranquille de ceux qui cherchent encore, sans jamais tricher. Il dit fréquemment que la culture aide à mieux vivre, comme un chant, une danse, un souffle.

En parallèle de ses créations, Dimitri Doré anime régulièrement des ateliers, workshops, fidèle à l’idée que la culture se partage autant qu’elle se joue. « Je dis souvent oui aux propositions de réalisateurs et comédiens plus jeunes que moi, j’aime ce dialogue entre générations », confie l’artiste de moins de trente ans. 

Sur scène, son corps devient instrument de mémoire. À la manière des dainas qu’il revisite, il transmet et incarne sans illustrer. Dans cette épure, tout semble possible : la tendresse, le trouble, la lumière. Dimitri Doré ne joue pas à être quelqu’un d’autre, il se métamorphose par l’art, encore et toujours.


DAINAS (pron. Daïnas) de Jonathan Capdevielle et Dimitri Doré
Création à l’
Arsenic – Lausanne
Du 24 au 28 septembre 2025
Durée 1h

Tournée
Du 6 au 17 novembre 2025 au 
T2G Théâtre de Gennevilliers
Du 21 au 24 janvier 2026 à la Maison Saint-Gervais (Genève)
31 mars au 2 avril 2026 au Nouveau Théâtre Besançon
8 Et 9 avril 2026 au Quai, CDN d’Angers
Les 29 et 30 avril 2026 au 
Grrranit Scène Nationale – Belfort
9 au 13 juin 2026 à la Maison des métallos, Paris

Mise en scène de Jonathan Capdevielle assisté de Jade Maignan
Avec Dimitri Doré.
Stage mise en scène – Juan Bescos.
Musique originale de Jennifer Eliz Hutt.
Création sonore: de Vanessa Court.
Lumière de Bruno Faucher assisté d’Alexy Carruba.
Costumes de Coline Galeazzi.
Dispositif scénographique – Jonathan Capdevielle, Dimitri Doré, Bruno Faucher, Jérôme Masson.
Régie générale – Jérôme Masson & Léa Bonhomme.
Coach Cerceau aérien – Elodie Lobjois.
Traduction letton — Rūta Liepiņa.
Coach letton – Baiba Troscenko.
Construction cadres métalliques- Théo Jouffroy.
Reproduction tableau Monet – Yannick Doré.
Film Super 8: – 979 Un jour de la semaine pour un couple
Réalisation – Yannick Doré. Avec Dominique Doré et Yannick Doré.

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